Enseignante en Techniques d’éducation spécialisée (TES) au Cégep de Granby – Haute-Yamaska depuis 2007, Josée Beaudoin a déposé, en mars 2013,  un essai intitulé : « Les savoir-être signifiants dans la profession d’éducatrices et d’éducateurs  spécialisés dans la région de la Montérégie ». Ce projet de recherche a été réalisé dans le cadre de la Maîtrise en enseignement au collégial de PERFORMA.

Dans cette entrevue, Josée Beaudoin expose, en premier lieu, le contexte et l’objectif poursuivi par son projet de recherche. En second lieu, elle explique la place du savoir-être dans la profession d’éducateur spécialisé, donne des exemples de stratégies mises en place par l’équipe d’enseignants pour intégrer le savoir-être à la formation et présente les principales difficultés rattachées à l’enseignement et à l’évaluation des savoir-être. En dernier lieu, elle explique brièvement le processus qu’il lui a permis d’identifier, de manière spécifique, les savoir-être signifiants dans la profession et d’éducateur spécialisé ainsi que les impacts des résultats de sa recherche au sein de son département.

Le projet de recherche de Josée Beaudoin est disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.cdc.qc.ca/pdf/031585-beaudoin-savoir-etre-TES-essai-usherbrooke-2013.pdf

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Marie-Janou Lusignan (MJL) : Quelle est l’origine du projet de ta maîtrise? Quel a été l’élément déclencheur pour toi?

Josée Beaudoin (JB) : C’est vraiment un cheminement qui s’est fait tranquillement.  Il nous arrivait souvent d’échanger entre collègues sur les attitudes des étudiants et des difficultés que certains d’entre eux éprouvaient. Tranquillement, cela a cheminé, mais tout est devenu plus clair lorsque j’ai été coordonnatrice des stages. J’ai constaté que la presque totalité des plaintes des milieux de stage concernait les problèmes d’attitude des étudiants!

MJL : C’est à ce moment que tu as réellement pris conscience de la problématique?

JB : Oui. Cependant, il ne faut pas croire que les problèmes d’attitude sont toujours majeurs; il y a peu d’étudiants que l’on doit retirer des milieux de stage et qui sont en situation d’échec en raison d’attitudes défaillantes. Généralement, les situations problématiques sont simples à régler (ex. arrivée en retard le matin), mais d’autres sont beaucoup plus complexes.   Lorsque je coordonnais les stages, j’ai eu à gérer plusieurs cas difficiles et c’est ce qui m’a amenée à choisir le sujet des attitudes professionnelles pour mon projet de maîtrise.

MJL : Quel était l’objectif poursuivi par ton essai?

JB : Je voulais identifier les savoir-être signifiants à la profession d’éducatrice et d’éducateur spécialisé. Le développement des attitudes est un sujet qui préoccupe l’équipe d’enseignants en TES depuis quelques années. Nous avons constaté que les problèmes d’attitude pouvaient être détectés dans les cours, mais que c’était surtout en stage qu’ils faisaient surface. Alors, comment préparer les étudiants adéquatement? Que faut-il enseigner au niveau des attitudes? La réponse ne va pas de soi, car il n’y a aucune compétence qui est clairement rattachée aux attitudes; c’est plutôt sous-entendu. Nous avons néanmoins tenté de faire ressortir, à partir du devis ministériel, les attitudes qu’une éducatrice et un éducateur spécialisé devraient posséder. C’est cette démarche qui m’a vraiment donné l’idée d’identifier les attitudes sur lesquelles nous devrions réellement tabler.

MJL : En résumé, l’objectif de départ était d’identifier les savoir-être signifiants pour savoir quoi enseigner et éventuellement quoi évaluer?

JB : Oui. Quoi enseigner, quoi et comment évaluer, sur quoi se baser. Pour nous, il était important de donner une piste vraiment plus claire, plus ciblée, tant aux milieux de stages qu’aux enseignants.

MJL : Quelle place occupent les savoir-être dans la profession d’éducateur spécialisé?

JB : Nous disons souvent aux étudiants que leur principal outil de travail, c’est eux! Ils sont en relation d’aide et leur personnalité est au cœur même de leur travail. Ils doivent bien se présenter physiquement, avoir un langage acceptable au niveau professionnel, etc. Dans la formation, nous insistons beaucoup sur ces différents aspects.  Comme le mentionne Henri Boudreault « on est engagé pour nos aptitudes, mais on est congédié pour nos attitudes ». C’est vraiment ça! Quand une personne excelle dans son travail, bien souvent, c’est parce qu’elle a du savoir-être!

MJL : Au sein de votre département, quelles stratégies l’équipe d’enseignants a-t-elle mises en place pour intégrer le savoir-être dans la formation?

JB : C’est en 2010 que nous avons commencé à nous structurer davantage. Nous avons d’abord élaboré une « grille des attitudes » en nous appuyant sur le devis ministériel. Nous avons alors fait ressortir cinq critères qui ont constitué la base de notre « expérience maison » : discernement, autonomie, communication, personnalité et relation professionnelle.  Nous avons par la suite documenté chacun de ces critères.  Concrètement, avoir du discernement en TES, cela veut dire quoi? Nous avons donc précisé des indicateurs pour chaque critère.

Par la suite, d’autres éléments se sont ajoutés. Par exemple, nous avons élaboré une politique départementale selon laquelle un étudiant peut être refusé pour son stage s’il ne respecte pas le niveau du savoir-être attendu de lui.  Nous tentons ainsi de nous assurer que les étudiants que nous envoyons en stage n’aient pas de difficultés et qu’ils ne soient pas renvoyés au bout de quelques semaines!

Nous avons également mis en place un système de tutorat à la première session. Tous les nouveaux étudiants sont rencontrés par des enseignants qui leur parlent du savoir-être, leur présentent et leur expliquent la politique, etc. C’est d’ailleurs à ce moment que les étudiants doivent la signer. Ils connaissent donc les attentes et les conséquences dès le début de leurs études en TES.

MJL : Les étudiants sont donc pris en charge par rapport au savoir-être dès le début de leur formation?

JB : Oui. Par exemple, à la première session, le savoir-être est ciblé dans le cours « L’éducateur spécialisé et les milieux d’intervention ». On y présente la  grille des attitudes que nous avons élaborée et on y explique ce qu’est le savoir-être, car la majorité des étudiants ne savent pas de quoi il s’agit. À la deuxième session, dans le cadre du cours « Communication professionnelle et relation d’aide », les étudiants réalisent un travail préparatoire au stage d’expérimentation (3e session) dans lequel ils doivent identifier leurs objectifs personnels : quels savoir-être doivent-ils améliorer durant leur stage? Ils ont la responsabilité de communiquer ces objectifs à leur accompagnateur en milieu de stage dès leur arrivée. Les milieux de stage sont donc d’importants partenaires puisqu’ils collaborent à l’évaluation des savoir-être en situation de travail. Au final, le savoir-être est intégré dans des cours ciblés à chaque session où les étudiants sont évalués de manière formative. Les étudiants sont également appelés à s’autoévaluer.  Ainsi, tout au long de leur cheminement, ils reçoivent régulièrement une rétroaction de la part des enseignants. Ils savent quelles sont leurs forces et ce qu’ils doivent améliorer. Il y a une continuité et les étudiants sont constamment encadrés par des enseignants qui les accompagnent et les soutiennent.

MJL : Quelles sont les principales difficultés rencontrées dans l’enseignement et l’évaluation du savoir-être ?

JB : La difficulté se situe surtout au niveau de l’évaluation. Nous avons revu nos façons de faire depuis 2010. Auparavant, nous attribuions une note d’au moins 10% au savoir-être dans les cours porteurs. Bien que nous avions des indicateurs, comment justifier précisément la différence entre un 8 et un 9 par exemple? Ce n’était pas évident, car il y a toujours une part de subjectivité et il n’est pas toujours facile pour l’enseignant d’attribuer une note. Nous avons finalement convenu de ne pas évaluer de façon sommative le savoir-être dans les cours porteurs; l’accent est davantage mis sur les évaluations formatives. Les étudiants doivent comprendre l’importance du savoir-être et essayer de s’améliorer plutôt que de viser une note. L’évaluation certificative du savoir-être est rattachée à la compétence éthique qui est en lien avec les stages.

En ce qui a trait à l’enseignement, c’est plus facile, car les cours ciblés sont ceux axés sur la pratique. Il est donc plus simple d’y rattacher les concepts du savoir-être. Cela se fait relativement bien avec des mises en situation, par exemple.

MJL : L’une des étapes de ta recherche était de sélectionner les savoir-être les plus pertinents et les plus signifiants dans la profession d’éducatrices et d’éducateurs spécialisés. Comment as-tu procédé pour identifier et sélectionner ces savoir-être?

Deux instruments de collecte de données ont été utilisés. À l’aide de différentes grilles (critères du département de TES, principes de Boudreault, habiletés de Grisé-Trottier), des entrevues individuelles semi-dirigées ont été réalisées, dans un premier temps, avec des enseignants du collège. Dans un deuxième temps, un sondage électronique a été adressé à tous les enseignants en Techniques d’éducation spécialisée du Cégep de Granby et à 80 milieux de stage de la région de la Montérégie. C’est ainsi que j’ai pu identifier les savoir-être porteurs de sens, autant pour les milieux de stages que pour les étudiants. L’analyse des résultats m’a permis de faire ressortir quatre savoir-être communs aux deux groupes : l’adaptation personnelle, l’engagement éthique, la prise en charge professionnelle et l’esprit d’équipe, les deux premiers étant de loin les plus signifiants pour l’ensemble des répondants. En supplément, l’équipe d’enseignants a identifié la réaction socioaffective et les relations interpersonnelles et les milieux de stages, l’engagement axiologique.

MJL : Quels ont été les impacts des résultats de ta recherche au sein du département de TES?

JB : Tout d’abord, il faut dire que la réaction a été très positive. Nous avons travaillé en équipe afin de remodeler notre grille, revoir nos indicateurs, définir chacun des savoir-être, adapter le vocabulaire, etc. Heureusement, nous n’avons pas eu à rejeter tout ce que nous avions déjà construit; nous étions déjà sur la bonne voie. C’est ce qui fait, entre autres, que l’équipe d’enseignants s’est engagée sans résistance dans le projet. Il a quand même fallu nous repositionner, nous entendre sur un langage commun et apporter les ajustements requis. Il y avait un enthousiasme certain face au projet. Nous nous sentions appuyés scientifiquement et nous constations que les changements apportés étaient davantage porteurs de sens pour nous. Voilà quelques exemples des impacts. Aussi, dorénavant, la Grille des savoir-être signifiants à la profession d’éducatrice et d’éducateur spécialisé  est diffusée dans tous les plans de cours et dans le guide de stage.

MJL : Crois-tu que les savoir-être identifiés dans le cadre de ta recherche pourraient être transférables?

JB : J’en suis convaincue.  Il y a peu de différences entre un finissant en TES du Cégep de Granby et celui d’un autre collège. Nous pourrions même aller plus loin… Ces savoir-être pourraient être signifiants pour bien des programmes! Je crois que cela pourrait même devenir un projet du collège à long terme!

Entrevue réalisée le 25 mars 2013.